Le féminisme, c’est quoi ?

En mars, on parle féminisme

Voici nos premiers petits guides, qui font partie de notre projet afin de créer des outils de sensibilisation. Avec un focus sur un thème par mois, ils sont conçus avec passion par notre ASBL pour démystifier, éduquer et inspirer.

Pour une première, on veut replacer et affiner nos connaissances sur la notion de féminisme, pour avoir une base solide pour la suite. À travers des mots simples et des idées puissantes, nous souhaitons rendre le féminisme accessible à toustes, en mettant en lumière ses enjeux, ses victoires, et les défis qu’il reste à relever. Que vous soyez novice en la matière ou déjà engagé.e dans la cause, ces guides sont là pour vous accompagner dans votre découverte ou approfondissement du féminisme.

Ils sont également disponibles en version papier. Contactez-nous pour plus d’infos.

Vous trouverez 3 parties : la première sur l’histoire et les différentes vagues du féminisme, la deuxième sur les types qui co-existent et la troisième est un focus sur les féminismes intersectionnels, car c’est là qu’est notre lutte.

La grossophobie, c’est quoi ?

En avril, on parle grossophobie

La grossophobie, fréquente et banalisée, génère discriminations et préjugés envers les personnes en surpoids ou obèses. Elle entrave l’accès aux soins, à l’emploi et à d’autres domaines de la vie quotidienne. Comprendre et reconnaître cette réalité est essentiel pour construire une société plus équitable, respectueuse de la diversité des corps.

Pour y réfléchir et lutter ensemble contre ces préjugés et ces stéréotypes, nous vous proposons de découvrir notre outil de sensibilisation « Le petit guide sur la grossophobie« .

Il existe en version papier gratuitement, si cela vous intéresse, contactez-nous par mail ou par téléphone.

femme devant un miroir

Body Positivisme : un mouvement en mutation

Depuis plusieurs décennies, le mouvement du body positivisme a évolué, passant d’une révolution contre les normes esthétiques oppressives à une expression individualiste de l’acceptation de soi.  Originalement conçu par les femmes grosses comme un cri de résistance contre les normes de beauté restrictives et discriminatoires, le mouvement a désormais été récupéré par une variété de voix. Il a évolué pour devenir une plate-forme où une multitude de voix s’expriment, parfois au détriment de son essence militante initiale.

body positivisme

Les origines du body positivisme

L’histoire du body positivisme remonte à plusieurs décennies, mais ses origines modernes peuvent être retracées dans les années 1960-70. À cette époque, des voix marginales commencent à se faire entendre, défiant les normes rigides de beauté et de taille imposées par la société. Llewellyn Louderback, auteur américain, publie en 1967 un article intitulé « More People Should be Fat! » dans The Saturday Evening Post, exposant les défis rencontrés par sa femme en raison de son poids. Cet article inspire Bill Fabrey à fonder en 1969 la National Association to Advance Fat Acceptance (NAAFA), luttant contre la discrimination envers les personnes en surpoids. Ensuite, en 1996, l’association The Body Positive est fondée par Connie Sobczak et Elizabeth Scott, avec pour objectif d’aider les individus à accepter leur corps et à lutter contre les troubles alimentaires.

Un mouvement qui évolue

Cependant, au fil des décennies, le body positivisme a subi des transformations significatives. Avec l’avènement des réseaux sociaux, le mouvement a connu une popularité croissante, atteignant un public plus large. Les plateformes telles que Instagram et Twitter ont permis à un large éventail de personnes de partager leurs expériences et de revendiquer l’acceptation de soi, quel que soit leur poids ou leur apparence. Mais cette popularité a également entraîné une dilution du message original du mouvement. De nos jours, il n’est pas rare de voir des personnes minces et répondant aux normes, utiliser le hashtag #bodypositive pour partager leurs propres insécurités physiques, telles que des vergetures ou des bourrelets. Bien que ces préoccupations soient légitimes, elles émanent souvent de corps qui correspondent déjà aux normes de beauté dominantes, détournant ainsi l’attention des personnes qui étaient à l’origine marginalisées en raison de leur poids ou de leur apparence.

Une ré-appropriation critiquée

Cette évolution du body positivisme a suscité des débats au sein du mouvement lui-même. Des voix s’élèvent pour dénoncer la déformation du mouvement, qui était à l’origine politique et militante. Le collectif Gras Politique, une association française luttant contre la grossophobie, souligne que le mouvement a été porté par des femmes grosses et racisées se sentant invisibles et mal considérées dans la société américaine. L’utilisation du mouvement par des personnes minces et conventionnellement belles a conduit à une perte de l’essence même du body positivisme, qui était de défier les normes de beauté dominantes et de lutter contre la discrimination basée sur le poids.

Dans son édition de juillet, le *Süddeutsche Zeitung Magazin* dresse un portrait désabusé du body positivisme, qualifiant le mouvement de “beau principe” mais aussi d' »idée fabuleuse » difficilement réalisable dans une société où les normes de beauté sont étroitement liées au capitalisme. Le magazine souligne également comment le mouvement a été détourné par l’industrie de la mode et de la beauté, devenant parfois une simple stratégie marketing. Le magazine allemand souligne que le retour de l’extrême maigreur sur les podiums de la haute couture et les campagnes publicitaires « prétendument inclusives » ne font que perpétuer les injonctions esthétiques traditionnelles. En effet, bien que des mannequins plus size soient mis en avant, ils sont souvent présentés avec des traits conventionnellement attrayants, ce qui renforce la pression sur l’apparence physique plutôt que de la réduire et invisibilise d’autant plus les corps gros et très gros. Face à ces constats, le concept de « body neutrality » émerge, mettant l’accent non pas sur l’aspect esthétique des corps, mais sur la dissociation de la valeur personnelle de l’apparence physique.

Vers plus d’inclusivité ?

Outre les nombreuses critiques de ré-appropriation du mouvement body positive par un public non concerné par la problématique initiale, certain.es défenseur.euses du mouvement soutiennent que le body positivisme devrait être inclusif de toutes les formes de corps et de toutes les expériences. Vannah Malila, fondatrice de CURVE, le premier mouvement body positive en Belgique, insiste sur le fait que le body positive concerne tout le monde, y compris les personnes minces. Elle souligne que les hommes ont également du mal à assumer leurs complexes et que leur représentation dans le mouvement est encore trop faible. Pour elle, le message du mouvement va bien au-delà du simple fait d’accepter ses rondeurs ; il s’agit plutôt d’accepter et de célébrer la diversité corporelle dans toutes ses formes.

Conclusion

En conclusion, le body positivisme émerge comme un mouvement en mutation, ayant traversé des décennies d’évolution depuis ses origines militantes dans les années 1960-70. Initialement conçu comme une réponse aux normes de beauté oppressives par les personnes grosses et très grosses, il a évolué pour devenir une plate-forme d’acceptation de soi où diverses voix s’expriment. Cependant, cette popularité croissante a conduit à une réappropriation critiquée du mouvement, avec des voix dénonçant sa dilution et sa déformation par des individus qui entrent néanmoins dans les cases conventionnelles de la beauté. Malgré cela, certain.es défenseur.euses du body positivisme soutiennent une vision inclusive, célébrant la diversité corporelle dans toutes ses formes. Dans l’ensemble, le body positivisme est à un tournant de son histoire. Alors que le mouvement continue d’évoluer, il est crucial de se souvenir de ses origines militantes et de s’efforcer de maintenir son engagement en faveur de la justice sociale et de l’inclusivité. Seulement ainsi pourra-t-il véritablement atteindre son objectif de libérer tous les corps des contraintes des normes esthétiques oppressives.

Bibliographie

Collectif Gras Politique. (2024). Body Positivisme : Plus que jamais, un mouvement militant [Blog post]. Récupéré sur https://graspolitique.fr/body-positivisme-plus-que-jamais-un-mouvement-militant/

Courrier International. (2023, 20 juillet). La fin de l’“idée fabuleuse” du body positivisme. *Courrier International*. https://www.courrierinternational.com/une/une-du-jour-la-fin-de-l-idee-fabuleuse-du-body-positivisme

Hidoussi, V. (2022, 25 octobre). *À double tranchant  ;  : les limites du body positive*. Madame Figaro. https://madame.lefigaro.fr/bien-etre/forme-detente/a-double-tranchant-les-limites-du-body-positive-20220410

Louderback, L. (1967). More People Should be Fat! The Saturday Evening Post.

Pirmez, M. (2019, 9 novembre). *Body positivisme, un mouvement faussement incluant ? – Mammouth Média*. Mammouth Média. https://www.mammouth.media/body-positivisme-mouvement-faussement-incluant/

Sobczak, C., & Scott, E. (1996). The Body Positive: A Guide to Loving Your Body. Gurze Books.

Süddeutsche Zeitung Magazin. (2024). Le Body Positivisme : À la recherche de ses origines [Article]. Süddeutsche Zeitung.

Stand-up féminin

Nouvelle séance à 21h !

Plongez dans l’univers hilarant du stand-up avec Dena, Sarah Lélé, Oriane Garcia et Fanny Ruwet, au KINGS Comedy Club à Ixelles, le dimanche 17 mars.
Le CFEP vous propose une soirée inoubliable où les femmes prennent le devant de la scène pour vous faire mourir de rire.
Au programme de ce plateau 100% féminin : 4 humoristes vous font découvrir leur 4 univers pendant 15 minutes, pour un moment de détente et de joie militante.
Venez profiter avec nous de leur humour sans filtre, où les rires fusent à chaque punchline, où les anecdotes du quotidien prennent une toute nouvelle dimension et où plus rien n’est tabou !
Réservez vos places dès maintenant : le ticket est à 5 euros par personne et un verre est offert sur place !

S’ouvrir aux autres et à soi-même ?

Le jeudi 23 novembre 2023 s’est tenu notre conférence de l’automne. Ihsane Haouach en était l’invitée et elle nous a présenté son livre et son idée de modèle répondant à la question : comment mieux s’ouvrir à soi-même et aux autres ?

En résumé

Ses principaux conseils sont :

  • Apprendre à se connaitre et oser rester soi­-même ;
  • Être ouvert.e aux autres, malgré nos différences, en ayant la patience de les écouter, de tenter de se mettre à leur place ;
  • Respecter les points de vue de chacun.e, nos interprétations nous sont propres et uniques, elles dépendent de notre éducation, de nos expériences de vie et sont toutes aussi valables et valides que les autres.

Se connaître et rester nous-mêmes, c’est définir ses valeurs et assumer ses convictions, sans que cela ne signifie qu’il faut camper sur ses positions et qu’il est interdit de changer d’avis. Toute personne a quelque chose à nous offrir et à nous apprendre, le tout est de lui en donner la chance. Tout comme nous avons toutes et tous des trésors à offrir et apprendre aux autres, le tout étant de s’en donner la chance. Trouver un équilibre stable entre ses valeurs et l’ouverture à l’autre. Ne pas s’enfermer dans ses choix, oser échanger, sans rien attendre en retour que la richesse du partage. Souvent, même si tout semble nous opposer, en dialoguant, des convergences peuvent naître et c’est là que la magie opère. Se sentir compris.e, entendu.e, écouté.e, aimé.e reste les clés vers l’apaisement personnel, mais aussi collectif.

Envie de découvrir le modèle OPEN en vidéo ?

Vous trouverez ici la vidéo, résumant la proposition OPEN d’Ishane Haouach. Merci à toutes les personnes qui sont venues, nous avons été ravies de partager cette soirée avec vous. On espère vous revoir bientôt, on vous concocte une chouette soirée en mars 2024 !

Petits guides sur le féminisme : le féminisme, c'est quoi ? Les vagues, les types et les féminismes intersectionnels

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Conférence d'Ihsane Haouach

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OPEN, le modèle d’Ihsane Haouach en vidéo

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Trouver Sa Voix, c’est une table de conversation organisée en collaboration avec l‘ARC Bruxelles. Les tables de conversation ou ateliers d’alphabétisation font partie des activités fondamentales du CFEP. Elles permettent […]

Sororité, interculturalité et entreprenariat féminin

Couverture du livre de Ihsane HaouachQR code pour l'inscriptionInscription gratuite

 

Et si l’ouverture au monde commençait par l’ouverture à soi-même ?

Dans cette conférence, Ihsane Haouach vous fera naviguer dans les zones troubles et pourtant si belles de l’interculturalité, la sororité et l’entreprenariat féminin. Avec son modèle OPEN (Ouverture, Patience, Empathie, Naturel) développé dans son livre Open Up Your Organisation, elle vous invitera à vous ouvrir à vous-mêmes et aux autres tout créant l’espace pour être naturel, en faisant appel à l’art de la patience et de l’empathie. Grâce à des faits pertinents, des concepts illustrés et des exemples concrets, vous aurez l’occasion d’évaluer votre style de leadership et de confronter vos propres réalités.

Tout ce qu’il vous faut, c’est participer à cet événement avec un esprit OUVERT!

A l’issue de la séance, vous pourrez vous procurer votre exemplaire dédicacé par l’auteure.

Inscriptions gratuites : info@cfep.be ou ici

Programme

17h30 Accueil à la Maison Amazone
18h00 Conférence
19h30 Discussion avec le public
20h00 Drink gratuit

A l’issue de la séance, vous pourrez vous procurer votre exemplaire du livre Open Up Your Organisation dédicacé par l’auteure.

Conférence gratuite
Amazone – rue du Méridien 10 – 1210 Saint-Josse
Métro Madou ou Botanique
Bus 29 – 61 – 63 – 65 – 66
Trams 92 – 93

La sororité – Petit topo

La sororité est un concept qui a été mis au premier plan par la quatrième vague féministe, davantage articulée autour des violences sexuelles après le mouvement #MeToo, même s’il a une histoire bien plus longue (Liedo, 2022). Le terme est dérivé du latin soror, qui veut dire sœur (Charrel, 2021, p. 232), et ne se prête pas à une définition uniforme. D’autant que son acception et sa mise en pratique ont varié au cours du temps et des pensées féministes qui l’ont utilisé et continuent à le revendiquer (Aráoz, 2020). Nous proposons donc dans cet article d’approcher le concept sous certains de ses traits principaux, mis en avant par différentes autrices.

La sororité comme solidarité politique

Pour Mannooretonil (2021), la sororité concernerait le fait de ne garder « que le meilleur, l’essence pure [des relations entre sœurs biologiques], et, en premier lieu, en éliminer le caractère obligé » (p. 96). On peut commencer par dire que la sororité représente une solidarité entre femmes* (Zupancic, 1998 ; Ferrarese, 2012 ; Aráoz, 2020). Plus spécifiquement, cette solidarité est politique, selon la pensée d’autrices féministes comme Kate Millet (Aráoz, 2020) ou bell hooks (Ferrarese, 2012) aux Etats-Unis. Il s’agit également d’une alliance politique pour la Mexicaine Marcela Lagarde (Aráoz, 2020). Politique, parce qu’elle met en lumière des relations de pouvoir et implique des actions et des luttes collectives dans la sphère publique.

Selon Lagarde, la sororité naît de la prise de conscience que développent les femmes de leur condition commune de domination dans la société patriarcale (Aráoz, 2020 ; Liedo, 2022). Elle sous-tend, comme on le disait, l’entreprise d’actions collectives pour lutter contre le patriarcat, et ce faisant combattre les inégalités entre les genres et les oppressions qu’elles induisent pour les femmes, et permettre l’empowerment de ces dernières (Aráoz, 2020). Il s’agit donc bien, quand on parle de sororité et pour bell hooks particulièrement, d’un engagement politique, transformatif. Elle dépasse la seule prise de conscience par les femmes de leur condition commune. Elle va également au-delà de leur alliance empathique face aux souffrances qu’elles subissent en raison de la domination masculine. Il n’est pas question, en effet, de les enfermer dans un statut collectif de victimes (Ferrarese, 2012 ; Liedo, 2022).

Un coup de pouce numérique ?

A ce titre, les technologies numériques peuvent jouer un rôle fantastique. Car, en facilitant le partage des expériences personnelles similaires, elles amènent les femmes à pouvoir s’identifier comme un « nous » : « Être perçue comme une femme et être traitée comme telle : c’est cela que nous partageons » (Delaume, 2019 ; citée par Charrel, 2021, p. 232). Il peut ainsi se créer un mouvement de prise de conscience que le privé est politique. Autrement dit, que les expériences vécues personnellement sont en fait le résultat d’un système de domination global au désavantage des femmes. Ces dernières peuvent par-là apprendre à s’identifier comme un groupe soumis aux mêmes inégalités, par exemple les violences de genre (Escalona Castro, 2019).

La sororité contre la compétition entre femmes

Selon Aráoz (2020), Lagarde ajoute une autre dimension fondamentale. La sororité permet non seulement de lutter contre les dynamiques de domination des hommes sur les femmes, mais également contre les relations hostiles qui peuvent exister entre les femmes elles-mêmes.  Liedo (2022) poursuit : d’après Lagarde, une compétition entre femmes est profitable au patriarcat. On dira, en s’inspirant de la pensée de Marx, que c’est parce que tant que les femmes sont divisées, elles ne peuvent se rendre compte de leur condition commune d’exploitation. Et donc, elles ne chercheront pas à la subvertir (Wathelet, 2021).

Affect, estime et confiance

Cette compétition entre femmes concerne, essentiellement, la lutte pour l’appréciation et la valorisation des hommes (Ferrarese, 2012 ; Liedo, 2022). C’est ce qui peut conduire au « syndrome de l’unique » dont nous parle Charrel (2021, p. 234). C’est-à-dire le caractère flatteur, voire la fierté, engendrés par le fait d’être la seule femme entourée d’hommes, ou capable de progresser dans une sphère essentiellement masculine, que ce soit dans les milieux professionnel ou amical. Et ce, au contraire de tout mouvement de sororité. Selon Liedo (2022), Lagarde souligne donc l’importance de créer des liens entre femmes basés sur l’affect, l’estime, la considération. Par-là, on confisque aux hommes la prérogative d’estimer les femmes, ce qui est déjà subversif.

Ces liens peuvent aussi être des liens de confiance. Confiance « d’une femme dans une autre car elle est sa semblable » (Aráoz, 2020, p. 5, trad. libre), ou affidamento pour la Libreria delle donne di Milano. Comme lorsque l’on se sait, en tant que femme, susceptible de subir des violences de genre, et que l’on considère dès lors spontanément des témoignages de victimes de ces violences comme légitimes (Escalona Castro, 2019).

En résumé

Toute cette dimension est assez bien résumée par Mannooretonil (2021) :

« Si les femmes ont pu se voir comme des rivales, c’est à cause du regard des hommes, du « papatriarcat » « à la Weinstein » : sortons donc, nous les femmes, de l’orbite de leur regard, et nous retrouverons l’affection mutuelle dont ils nous ont privées. Ni rivales ni amies, les femmes sont désormais membres d’une même communauté animée de la force de changer le monde. » (p. 101)

Cela dit, quant à l’amitié, une réflexion de Ferrarese (2012), citant Derrida (1994), nous paraît intéressante. Elle avance qu’une société patriarcale n’attend pas des femmes qu’elles soient amies, mais uniquement épouses et mères. L’amitié (sorore) entre femmes a donc en elle-même une valeur politique.

Sororité et identité de femme

Il y a aussi, pour plusieurs autrices, l’idée d’une sororité basée sur la revendication commune de son identité de femme (Bartlett, 1986), y compris dans ses aspects les plus physiologiques (Mannooretonil, 2021). Mannooretonil (2021) donne l’exemple du roman La tente rouge d’Anita Diamant, qui a donné lieu à de véritables pratiques. L’autrice y imagine une tente dans laquelle les femmes se rassemblent pendant leurs règles et discutent en toute bienveillance de certaines réalités propres au corps des femmes : les cycles menstruels, l’accouchement, etc. Il s’agit de donner une légitimité et un espace d’expression à des éléments dénigrés par la société patriarcale : « l’écoulement de sang, en premier lieu, mais aussi l’écoulement de la parole et de la sensibilité » (p. 97). Les femmes s’empouvoireraient de cette communion dans leur féminité.

Bartlett (1986), quant à elle, voit l’affirmation d’une identité de femme, basée sur « une vision et une définition de la « féminité » centrées sur [le point de vue de] la femme » (p. 523, trad. libre), comme un élément constitutif de la sororité. Pour l’autrice, une femme qui renie certains aspects de son identité de femme pour conquérir sa liberté et l’égalité ne sera pas vraiment libre, ni l’égale de l’homme. Bien sûr, on peut tempérer cette vision par le droit d’une personne à ne pas se définir par un genre particulier. De plus, cela pose une vraie question, puisque c’est en raison même du genre et de toutes les attentes qu’il génère, dans une société patriarcale, que des inégalités existent au détriment des femmes.

La nécessaire intersectionnalité

Également, il faut noter l’importance d’une sororité qui tient compte de la diversité (Ferrarese, 2012 ; Aráoz, 2020). En effet, le fait de promouvoir une alliance politique entre femmes du fait de leur condition commune de femmes, subissant de ce fait même des inégalités et des oppressions, ne doit pas invisibiliser d’autres identités subissant elles-mêmes des logiques de domination. Ainsi, les femmes noires ou lesbiennes ont pu reprocher à l’idéal de sororité promu par les féminismes à partir des années septante d’être celui de femmes blanches, privilégiées (Bartlett, 1986 ; Ferrarese, 2012 ; Charrel, 2021, p. 232), hétérosexuelles (Eloit, 2020).

bell hooks, par exemple, critique l’utilisation de la sororité par les femmes blanches pour asseoir leur position ascendante sur les femmes noires (Ferrarese, 2012). D’après Audre Lorde également, que cite Liedo (2022), une sororité basée sur une vision homogène de l’expérience des femmes est trompeuse. Pour Lorde, « derrière la sororité, le racisme demeure » (p. 15, trad. libre). Selon Eloit (2020), le Mouvement de libération des femmes en France, dans les années septante, promouvait également une sororité « homogénéisante », un amour entre femmes par-delà leurs différences. Le lesbianisme politique est un courant qui est né dans ce contexte, car cette vision centrée sur l’identité politique de « femme » pouvait être perçue comme invisibilisant les identités lesbiennes. De manière générale, pour reprendre Liedo, les critiques de la sororité concernent le fait qu’il existe, entre les femmes elles-mêmes, des logiques de domination basées sur la « race », la classe ou l’orientation sexuelle, entre autres.

On peut également parler de l’âge, et des craintes d’âgisme de Cynthia Rich par exemple, qui pourrait imprégner une supposée « horizontalité d’âge entre les sœurs » (Charrel, 2021, p. 233). En effet, les luttes féministes s’intéressent-elles suffisamment aux réalités des femmes qui prennent de l’âge ?

En résumé

Bref, pour reprendre Lagarde citée par Aráoz (2020), la construction d’une sororité doit bien se garder d’imposer une pensée unique, dominante et homogénéisante, qui invisibilise la diversité des autres identités opprimées selon Liedo (2022). Cette dernière souligne que la sororité doit, au contraire, tenir compte des différences, et des injustices qu’elles impliquent. Sinon, comme le rapporte Aráoz, elle impose (ou maintient) d’autres formes de domination, entre femmes cette fois. La sororité doit donc être inclusive, intersectionnelle, résume Liedo.

Conclusion

Pour conclure, on peut donc dire dans une première approche et en nous basant sur les autrices étudiées jusqu’ici que la sororité constitue une alliance, une solidarité politique entre femmes. Elle repose sur la prise de conscience d’une condition commune de domination et se traduit par des actions collectives concrètes pour renverser cette tendance. La sororité implique des liens affectifs et d’estime entre femmes, cassant les rapports compétitifs que leur construit le patriarcat. Elle peut être liée à l’affirmation d’une identité de femme. Elle doit cependant veiller à ne pas invisibiliser les autres identités opprimées, au nom de celle-là seule. Ainsi, une sororité qui ne reproduit pas des rapports de domination entre femmes est une sororité qui tient compte des différences raciales, sexuelles, de classe, d’âge, etc, et des luttes de leurs représentantes contre les inégalités qu’elles subissent.

* Par femmes, le CFEP entend toutes les personnes qui s’identifient comme femmes ; c’est donc en ce sens également qu’on l’appréhende dans cet article.

Sources

Aráoz, V. (2020). Sentidos y prácticas de sororidad en Facebook. Question/Cuestión, 2(66). DOI : https//doi.org/10.24215/16696581e500.

Bartlett, E. A. (1986). Liberty, Equality, Sorority: Contradiction and Integrity in Feminist Thought and Practice. Women’s Studies International Forum, 9(5-6), 521-529. DOI : https://doi.org/10.1016/0277-5395(86)90044-0.

Charrel, M. (2021). Qui a peur des vieilles ? Editions Les Pérégrines. 

Eloit, I. (2020). Trouble dans le féminisme. Du « Nous, les femmes » au « Nous, les lesbiennes » : genèse du sujet politique lesbien en France (1970-1980). 20 & 21. Revue d’histoire, 148, 129-145. DOI : 10.3917/vin.148.0129.

Escalona Castro, M. (2019). Sororidad y resistencia digital ante el acoso sexual callejero. Hachetetepé. Revista científica de Educación y Comunicación, 18, 119-124. DOI : https://doi.org/10.25267/Hachetetepe.2019.v1.i18.12.

Ferrarese, E. (2012). bell hooks et le politique. La lutte, la souffrance et l’amour. Dans A. M. Devreux et D. Lamoureux (dir.), Cahiers du genre, N°52. Les antiféminismes (pp. 219-240). DOI : 10.3917/cdge.052.0219.

Liedo, B. (2022). Juntas y revueltas: la sororidad en el feminismo contemporáneo. Recerca, Revista de Pensament i Anàlisi, 27(2). DOI :  http://dx.doi.org/10.6035/recerca.6539.

Mannooretonil, A. (2021). La sororité, pour quoi faire ? Etudes, 12, 91-104. DOI : 10.3917/etu.4288.0091.

Wathelet, E. (2021). Structures internationales et relations nord-sud [conférence]. IHECS, Bruxelles.

Zupancic, M. (1998). Axe Belgique-Québec-France : aspects de sororité. Anuario de Estudios Filológicos, 21, 461-467.

Plongez-vous dans les autres publications du CFEP

J’existe – Le combat pour la visibilité

J’existe – Le combat pour la visibilité est un événement organisé par le CFEP à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, en collaboration avec PointCulture, le 11 mars 2022. Il s’agissait d’une projection et d’une exposition (visible du 11 au 31 mars 2022), ainsi que d’animations CFEplay.

L’objectif de l’événement était de mettre en valeur les différents projets réalisés par les femmes fréquentant le CFEP dans le cadre des Ateliers de l’Égalité et de la Citoyenneté (AEC), à savoir :

– « J’existe » : photographies sur la thématique des « étranger.e.s à Bruxelles », réalisées avec les participantes des AEC 2016

– Le CFEplay : jeu de société géant autour des thématiques de l’émancipation des femmes, les violences, l’interculturalité, la durabilité et la Belgique, réalisé avec les participantes des AEC 2018

– « Sésame, ouvre-toi » : film documentaire autour de la thématique des femmes sans-papiers à Bruxelles réalisé par les participantes des AEC 2019. La projection était suivie d’un débat avec Eva Jimenez Lamas, responsable à la CSC Bruxelles des Migrant.e.s/Action des Travailleur.euse.s Migrant.e.s avec et sans papiers et de la lutte contre le racisme, et Maître Bruno Dayez, avocat spécialisé en droits des étranger.e.s et intervenant dans le documentaire.

La soirée s’est clôturée avec des témoignages de femmes sans-papiers sur leur parcours. Ces témoignages ont été filmés dans le but d’interpeller Sammy Mahdi, alors Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration.

Bénédicte Linard, Ministre de la Culture, de l’Enfance, des Droits des femmes, de la Santé et des Médias au gouvernement de la Communauté française, était également présente à cette soirée.

Nous vous proposons une vidéo reprenant certains moments-clés de l’événement.

Plus d’infos sur l’expo, le CFEplay et le documentaire ?

Personne devant un ordinateur, bloc-notes, et tasse de café

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